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Entretien. Moussaoui Ajlaoui: «Les inégalités, premier défi majeur du prochain gouvernement»

Entretien. Moussaoui Ajlaoui: «Les inégalités, premier défi majeur du prochain gouvernement»

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Après son éclatante victoire aux législatives, le RNI est-il sorti de l’auberge? A quel gouvernement faut-il s’attendre? Moussaoui Ajlaoui, président du Centre d’études pour l’Afrique et le Moyen-Orient, a répondu aux questions de Ni9ach21.

Les élections législatives du 8 septembre au Maroc se sont soldées par la victoire écrasante du Rassemblement national des indépendants (RNI), qui a remporté 102 sièges sur 395. Le parti d’Aziz Akhannouch est suivi par le Parti authenticité et modernité (PAM), avec 86 sièges, le Parti de l’Istiqlal (PI, 81), l’Union socialiste des forces populaires (USFP, 35), le Mouvement populaire (MP, 29), le Parti du progrès et du socialisme (PPS, 21), l’Union Constitutionnelle (UC, 18) et le Parti de la justice et du développement (PJD, 13 sièges), tandis que 10 sièges sont revenus aux autres partis politiques.

Après deux mandats à la tête du gouvernement, le parti islamistes connait donc une chute mémorable. Son chef, Saad Dine El Otmani, a même échoué à se faire élire dans la circonscription de Rabat-Océan. Et les conséquences de cette débâcle ne se sont pas fait attendre. El Otmani s’est vu obligé de démissionner du secrétariat général du PJD, jeudi.

Que retenir de ces élections? A quel gouvernement faut-il s’attendre? Le RNI est-il pour autant sorti de l’auberge? Moussaoui Ajlaoui, président du Centre d’études pour l’Afrique et le Moyen-Orient, a répondu aux questions de Ni9ach21.

Ni9ach21: Quelle lecture faites-vous des résultats des élections?

Moussaoui Ajlaoui: Des surprises de tous les côtés. La première concerne le PJD. Tout le monde s’interrogeait sur la position qu’allait obtenir le parti dans la nouvelle carte électorale. En général, il est impossible qu’un parti reste à la tête du gouvernement pendant 15 ans; la moyenne est de 5 ans. Ce qui est arrivé en 2016 est exceptionnel, car le PJD a voté pour lui-même d’une manière indirecte avec l’appui des partisans d’Al Adl Wal Ihssane, ce qui lui a rapporté 125 sièges au Parlement. Mais Al Adl Wal Ihssane croyait qu’Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement à l’époque, servait ses intérêts stratégiques. Mais le mouvement a déchanté, et c’est ce qui explique pourquoi Benkirane n’est pas resté chef de gouvernement. Dans tous les cas, il était difficile pour le PJD de remporter un troisième mandat. Mais la grande surprise se situe au niveau du nombre de sièges remportés. Passer de 125 sièges à 13, c’est une chute libre. Je vous laisse deviner comment le parti peut se sortir de ce trou.

Une autre surprise concerne le RNI, qui avait 37 sièges en 2016. Même si le parti a démarré sa campagne depuis plus d’une année, avec une vaste communication, ainsi que la présence de son chef sur le terrain, c’est son orientation vers les jeunes qui a le plus payé, de même que certains ministres qui ont réussi sur plusieurs dossiers. Beaucoup de gens avaient espoir en ce parti, surtout qu’il a insisté dans son programme sur le social: la protection sociale, les vieux, les jeunes, les aides, le rural… Néanmoins, cela n’explique pas son passage à 102 sièges actuellement.

La troisième surprise vient de l’USFP, qui passe de seulement 20 sièges en 2016 à 35 maintenant. Quant au Parti authenticité et modernité (PAM) et au Parti de l’Istiqlal, leurs résultats étaient attendus. Même si le PI était dans l’opposition, il disposait de ses bases. Le PAM, lui, a réalisé également de bons résultats malgré son passage de 102 sièges en 2016 à 86 actuellement. Ce qui peut s’expliquer en partie par les crises organisationnelles et les problèmes internes qu’il traversait.

Mais le plus important reste le nouveau système électoral, qui a élargi la présence politique au sein de l’hémicycle. C’est-à-dire qu’on on aura du nouveau sang, un certain frottement entre les partis, même si la majorité gouvernementale devrait être confortable. On s’attend également à une opposition qui sera présente officiellement au sein du Parlement.

Comment expliquez-vous le taux de participation?

Pour la première fois dans l’histoire du Maroc, les législatives, les communales et les régionales ont eu lieu le même jour. C’était un grand pari pour le Maroc, surtout que le président algérien avait déclaré que son pays était dans l’incapacité d’organiser des élections générales, et que cela n’était possible que pour les grands Etats. Ainsi, d’après les dire de Tebboune, le Maroc est actuellement un grand pays, car il a relevé le défi d’organiser les élections législatives, communales et régionales en un seul jour.

Le déroulement des élections communales, régionales et législatives le même jour, a permis une dynamique de mobilisation des électeurs, ce qui explique ce taux de participation. Une très bonne chose à propos des élections 2021, c’est l’inscription d’environs 3.000.000 de jeunes, dont ceux qui sont âgés entre 18 et 34 ans représentent 27%, et c’est ce qui explique la hausse légère du taux de participation de 42,16% en 2016 à 50,18% en 2021. Au vu des circonstances actuelles, c’est une très bonne chose.

Quel pourrait être le pire scénario pour le RNI malgré sa victoire?

Le RNI aura un problème! Premièrement, il était en coalition avec l’USFP, et je ne sais pas s’il y aurait une continuité de la coalition RNI-USFP. Ensuite, il avait un problème avec le PAM, mais c’est le premier parti à avoir félicité Akhannouch. En ce qui concerne l’Istiqlal, ils sont en bons termes. Ainsi, une grande majorité gouvernementale peut être constituée entre le RNI, le PAM et le PI. Cependant, en cas de non-accord entre ces trois, le RNI se retrouvera avec des dossiers moins importants. D’où la nécessité d’une certaine intelligence pour la composition du prochain gouvernement.

Je pense qu’Akhannouch va se protéger en faisant coalition avec l’USFP ou le PI. Mais il est face à un défi, car il devrait leurs donner des portefeuilles ministériels en contrepartie. Entretemps, le peuple aspire à un petit gouvernement, avec un nombre réduit de portefeuilles. Et c’est là que réside le deuxième défi pour le RNI: est-il est en capacité de satisfaire les convoitises de la majorité en considération du nombre de portefeuilles proposés pour le futur gouvernement?

A quelles autres alliances peut-on assister?

Comme disait Nizar Kabbani (poète syrien, ndlr), «toutes les cohésions sont possibles», surtout entre l’USFP, le PAM et le PI, car ils constituent plus de 200 sièges.

Le gouvernement change de visage. A quel Maroc peut-on s’attendre?

C’est clair et net. Le roi Mohammed VI a pointé du doigt, dans de nombreux discours, les inégalités socio-spatiales. Par exemple, quand on est à Hay Riad (Rabat), on se croirait dans les rues de New-York. Par contre, en allant à El Qaria, à Salé, on se croirait dans les favelas du Brésil, et ce à l’intérieur d’une même région. L’autoroute est criblée de nids-de-poule. Il y a aussi, des inégalités spatiales entre les régions. Prenons l’exemple d’Ahermoumou, dans la région du Fès-Meknès. En visitant la ville, on se croirait au 19e siècle, vu l’absence d’infrastructures. Et en s’éloignant de 50 km seulement, l’on se retrouve dans un autre monde.

En sus, il y a les inégalités entre les classes sociales; la classe moyenne est à bout de souffle. Le RNI a, d’ailleurs, insisté sur cette classe dans son programme. On est face à l’extrême pauvreté et l’extrême richesse, une voiture qui coute plus de 80 millions et une bicyclette. Ces contradictions ont été soulevées à maintes reprises par le souverain, d’où l’adoption du nouveau modèle de développement (NMD). Ainsi, le grand défi du prochain gouvernement réside dans l’application du NMD pour l’élimination des inégalités socio-territoriales, car le programme social proposé par le RNI est difficile à appliquer.

Un dernier point positif de ces élections reste la victoire des libéraux, preuve que le Maroc change de visage et ça pourrait réconforter d’avantage les investisseurs étrangers.

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