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Révélations: et si Mehdi Ben Barka était un espion?

Révélations: et si Mehdi Ben Barka était un espion?

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Des archives déclassifiées pointent l’opposant marocain disparu à Paris en 1965 comme un collaborateur des services secrets tchécoslovaques, moyennant rémunération, rapporte le journal britannique The Guardian.

Jusque-là, il était un des symboles de la lutte contre l’impérialisme dans les années 60. Mais de récentes révélations d’archives déclassifiées viennent semer le doute quant à son indépendance. Mehdi Ben Barka, célèbre opposant marocain, aurait été un agent des services secrets tchécoslovaques, rapporte The Guardian dans son édition électronique de ce dimanche 26 décembre.

Des dossiers précédemment classifiés de Prague montrent que Ben Barka avait non seulement une relation étroite avec le Státní Bezpečnost (StB), le tant redouté service de sécurité tchécoslovaque, mais qu’il en a reçu des paiements substantiels, tant en espèces qu’en nature.

«Ben Barka est souvent décrit comme un combattant contre les intérêts coloniaux et pour le tiers-monde, mais les documents révèlent une image très différente: un homme qui jouait sur plusieurs niveaux, qui en savait beaucoup et savait aussi que l’information était très précieuse en ces temps de Guerre froide, un opportuniste qui jouait à un jeu très dangereux», a déclaré le docteur Jan Koura, professeur adjoint à l’Université Charles de Prague, qui a eu accès au dossier.

Interrogée par The Guardian, sa famille nie catégoriquement cette accusation. La possibilité d’un lien entre Ben Barka et le StB a, néanmoins, été évoquée pour la première fois il y a près de 15 ans, bien que peu de personnes aient prêté une grande attention aux enquêtes menées par un journaliste tchèque. «Mais Koura a non seulement pu accéder à l’intégralité du dossier Ben Barka dans les archives du StB, mais a également recoupé ses 1.500 pages avec des milliers d’autres documents secrets nouvellement publiés», lit-on.

«Il n’y a aucun doute sur [la connexion tchèque]. Tous les documents le confirment», a déclaré Koura à l’Observer.

Selon le dossier, les relations de Ben Barka avec le StB ont commencé en 1960, lorsqu’il a rencontré son espion le plus haut placé à Paris. Les espions de Prague espéraient que cet éminent leader de la lutte pour l’indépendance du Maroc et fondateur de son premier parti d’opposition socialiste fournirait des renseignements précieux, non seulement sur les développements politiques dans le royaume, mais aussi sur la pensée des dirigeants arabes tels que le président égyptien Gamal Abdel Nasser.

Ben Barka était également une figure majeure du «mouvement anti-impérialiste des nations africaines et asiatiques», a noté le StB, dont les contacts comprenaient Malcolm X, Che Guevara et le jeune Nelson Mandela. Peu de temps après leurs premières réunions, le StB a rapporté que Ben Barka était une source d’informations «extrêmement précieuses» et lui a donné le nom de code «Cheikh», révèlent les archives.

En septembre 1961, selon le dossier, Ben Barka avait reçu 1.000 francs français du StB pour des rapports sur le Maroc qui étaient copiés du bulletin interne du service de renseignement français à l’étranger. «En fait, le matériel était accessible au public, ce qui a provoqué la colère et l’embarras à Prague lorsque la tromperie a été découverte. Ben Barka s’est néanmoins vu proposer un voyage tous frais payés en Afrique de l’Ouest pour recueillir des renseignements sur les activités américaines en Guinée équatoriale. Cette mission a été considérée comme un succès», lit-on encore.

Les archives citées indiquent également que les Tchécoslovaques commencèrent bientôt à soupçonner que Ben Barka avait également des relations avec d’autres acteurs de la Guerre froide, apprenant en février 1962 d’un agent en France que «Cheikh» avait rencontré un syndicaliste américain au bar «L’Éléphant Blanc» à Paris et avait reçu un chèque fait en dollars américains. Cela a conduit à craindre que Ben Barka ait des liens avec la CIA… Le StB devait recevoir d’autres rapports alléguant que Ben Barka était en contact avec les États-Unis, bien que le politicien marocain ait toujours nié cela lorsqu’il était confronté à ce sujet, a déclaré Koura.

La relation avec les Tchécoslovaques a cependant été maintenue. Et Ben Barka a été invité à Prague, où il a accepté d’aider à influencer la politique et les dirigeants en Afrique en échange de 1.500 livres sterling par an.

Ben Barka a été envoyé en Irak, en Algérie et en Egypte. Ses rapports ont atteint les services de renseignement soviétiques, qui ont jugé le matériel fourni comme «très précieux». En récompense de ses services, lui et ses quatre enfants ont été invités en vacances dans un spa en Tchécoslovaquie, révèle l’enquête.

«Ben Barka n’a jamais admis qu’il collaborait [avec les services de renseignement], et le StB ne l’a jamais répertorié comme un agent,  comme un contact. Mais il fournissait des informations et était payé», a déclaré Koura. « Il était très intelligent, un gars très intelligent. Il n’y a pas de document avec sa signature, il n’y a pas d’échantillons de son écriture. Il a été interrogé oralement pendant des heures… Parfois, il utilisait une machine à écrire mais refusait d’écrire quoi que ce soit à la main.»

Les motivations de Ben Barka, militant engagé arrêté et emprisonné à plusieurs reprises au Maroc, restent floues. Bachir Ben Barka, qui vit dans l’est de la France, a déclaré à l’Observer que les relations de son père avec les États socialistes et autres étaient simplement celles que l’on pouvait attendre de toute personne profondément engagée dans la lutte mondiale contre l’impérialisme.

Koura est moins convaincu de son altruisme. «Il y avait à la fois du pragmatisme et de l’idéalisme. Je ne le condamne pas. La Guerre froide n’était pas une longue ligne droite», a-t-il déclaré.

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