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Maroc-Algérie: «khawa khawa» malgré tout

Maroc-Algérie: «khawa khawa» malgré tout

Dans son discours prononcé samedi 31 juillet 2021, à l’occasion de la fête du Trône, le roi Mohammed VI a affirmé que l’absence de partenariat entre le Maroc et l’Algérie était un véritable gâchis. Les relations maroco-algériennes ont connu des hauts et des bas depuis les années 60, mais elles ont atteint le point de non-retour avec la fermeture intégrale des frontières en 1994. Quid des effets économiques de cette relation tendue?

Le différend entre le Maroc et l’Algérie remonte aux années de décolonisation française en Afrique du Nord, mais il a atteint son pic en 1994 avec la fermeture intégrale des frontières entre les deux Etats. Une décision qui, prononcée par Alger, a eu des répercussions économiques significatives. Malgré tout, les échanges commerciaux se sont plus au moins poursuivis. Puis est venu le 25 avril 2021, lorsqu’Alger a sommé plusieurs entreprises nationales de rompre leurs contrats avec leurs partenaires marocains.

Alternance entre rapprochements et affrontements

La frontière, hermétique officiellement mais poreuse dans la pratique, constitue un frein au développement des affaires entre le Maroc et l’Algérie. En effet, les frontières terrestres entre les deux pays, longues d’à peu près 1600 kilomètres, sont à la source de la dégradation de leurs relations. Pour rappel, à l’approche de l’indépendance de l’Algérie, la France s’est empressée de proposer au Maroc une négociation sur ses frontières avec son voisin, moyennant l’arrêt de son appui aux combattants algériens, qui utilisaient le territoire marocain comme base arrière. Mais cette proposition a été repoussée par le royaume au nom de la solidarité entre les deux peuples frères. Refus qui a été suivi d’un engagement à régler la question frontalière avec l’Algérie indépendante.

Le double engagement fut scellé par un accord signé en juillet 1961 entre le roi Hassan II et Ferhat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), lequel prévoyait que «le problème territorial créé par une délimitation arbitraire imposée par la France devrait être résolu ultérieurement par des négociations directes entre le Maroc et l’Algérie». En outre, le GPRA assurait que «les accords qui pourront intervenir à la suite des négociations franco-algériennes ne sauraient pas être opposables au Maroc quant aux délimitations territoriales algéro-marocaines».

Cependant, après un changement de dirigeants à l’indépendance de l’Algérie en 1962, ces négociations ont été gelées, ce qui a fortement déplu au Maroc. Puis, la guerre des Sables s’est déclenchée entre les deux voisins en octobre 1963. Les nombreuses médiations qui ont eu lieu, par la suite, ont abouti à la signature officielle d’un traité de fraternité, de bon voisinage et de coopération entre le Maroc et l’Algérie, le 15 janvier 1969, à Ifrane.

Les décennies suivantes ont été marquées par une alternance entre rapprochements et affrontements, dont notamment le conflit du Sahara (1975-1991) et les blocages diplomatiques qui ont découlent, la fermeture intégrale des frontières en 1994 après que Rabat eut imposé le visa pour les ressortissants algériens suite à un attentat survenu dans un hôtel à Marrakech. Ce dernier fut attribué par les autorités marocaines aux services de renseignements algériens. Certes, la situation s’est apaisée depuis entre les deux pays, avec la suppression des visas imposés aux Algériens, mais la décision de fermeture des frontières a été maintenue par Alger. Alors que les intérêts économiques devraient rapprocher davantage les deux voisins, la géopolitique les divise.

Un partenaire de premier plan malgré tout

L’histoire est volontiers éloquente. La géographie a fait d’Oujda (Maroc), ainsi que Tlemcen et Nemours (Algérie) des lieux de passage de marchandises et d’échanges commerciaux très importants. Tlemcen fut longtemps le centre d’un important commerce transméditerranéen et transsaharien, et Oujda, pour sa part, offrait ses paysages aux voyageurs venant du Sud ou de l’Ouest. Entre les deux, leur offrant sa porte sur la Méditerranée, Nemours servait de port minier pour la sortie des richesses du sous-sol marocain et d’exutoire naturel de cet Occident oranais dont Tlemcen est la capitale.

Ainsi, bien que les contacts aient été quasiment rompus en raison de la relation difficile qu’entretiennent Rabat et Alger depuis les années 60, le business a toujours existé entre les deux frères rivaux, même après la fermeture des frontières en 1994. D’ailleurs, il existe bel et bien tout un cadre de partenariat dans le domaine économique entre le Maroc et l’Algérie, comprenant essentiellement l’accord commercial et douanier signé le 14 mars 1989, la convention de non-double imposition signée le 25 janvier 1990 et la convention du paiement bilatéral unifié entre les pays de l’Union du Maghreb arabe (UMA) signé le 12 décembre 1991. Cependant, les deux pays ne sont pas encore parvenus à signer un accord sur la promotion et la protection des investissements.

En outre, les échanges économiques entre le Maroc et l’Algérie tournent autour des produits essentiels sur les deux marchés. Les Marocains importe le gaz de pétrole et autres hydrocarbures, les produits chimiques, les dattes et le verre. En retour, il expédie vers l’Algérie du café, des engrais, mais aussi des produits textiles et de la tôle en fer ou en acier. Et chiffre étonnant: il y a cinq ans, l’Algérie était… le premier partenaire économique africain du Maroc, avec des échanges de près de 8,5 milliards de dirhams à la fin de 2016. Aujourd’hui, cette place est occupée par l’Egypte au niveau des importations et la Côte d’Ivoire pour l’export.

En effet, à la lecture du rapport annuel de l’Office des changes de 2020, l’on constate une baisse substantielle en matière d’échanges commerciaux entre le Maroc et l’Algérie. Le volume des importations s’est, de fait, établi à 4,112 milliards de dirhams en 2020 représentant 1% des importations globales réalisées par le Maroc. Ce chiffre représentait, néanmoins, 29% du total des importations d’origine africaine, contre 4,955 milliards de dirhams en 2019 (29,12%), 6,96 milliards de dirhams en 2018 (36,78%), 5,353 milliards de dirhams en 2017 (35,13%) et 6,156 milliards de dirhams en 2016 (38,92%). De même, le volume des exportations du Maroc vers l’Algérie a baissé légèrement entre 2016 et 2020: 1,27 milliard de dirhams en 2020, soit 5,91% du total des exportations d’origine africaine, contre 1,529 milliards de dirhams en 2019 (7,12%), 1,63 milliard de dirhams en 2018 (7, 59%), 1,946 milliard de dirhams en 2017 (7,59%) et 2,317 milliards de dirhams en 2016 (10,79%).

Plus particulièrement, en matière d’échanges commerciaux des produits énergétiques, les relations maroco-algériennes ont permis le renforcement de l’interconnexion électrique, ainsi que la signature le 3 juillet 2008 par l’Office national d’électricité (ONE) et la société nationale algérienne de l’électricité et du gaz (SONELGAZ) de deux contrats pour fixer les modalités d’échange d’électricité entre les deux pays, d’une part, et d’acheminer l’électricité en Espagne dans des conditions appropriés, d’autre part. S’y ajoute la signature, en juillet 2011, par l’ONE et la société algérienne de pétrole et du gaz (SONATRACH) d’un accord de vente de 640 millions de m3 de gaz naturel au Maroc sur dix ans, qui seront acheminés à travers le Gazoduc Maghreb-Europe. A noter que cet accord expirera en novembre prochain après un quart de siècle d’exploitation.

Dans ce sens, le discours prononcé par le roi Mohammed VI, le 31 juillet 2021, appelant le président algérien à œuvrer pour l’ouverture des frontières, est très pertinent. D’après le souverain, cette fermeture «heurte un droit naturel et un principe juridique authentique, consacré par les instruments internationaux, notamment le Traité de Marrakech, texte fondateur de l’Union du Maghreb Arabe qui prévoit la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux entre les pays constitutifs de l’espace maghrébin». A l’heure actuelle, les défis mondiaux exigent des solutions locales, et la coopération maroco-algérienne pourrait y jouer un rôle majeur.

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