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Maroc-Algérie: qu’implique la rupture des relations diplomatiques?

Maroc-Algérie: qu’implique la rupture des relations diplomatiques?

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L’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc. Pour justifier sa décision, le voisin de l’est a dénoncé des «actes hostiles incessants» du royaume. De son côté, Rabat a qualifié cette décision d’«injustifiée mais attendue». Mais quelles sont les véritables implications d’une rupture diplomatique?

Nouveau coup de chaud diplomatique entre les deux géants maghrébins. Durant une conférence de presse, le 24 août 2021, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a annoncé la décision de son pays de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc. Une décision qui s’inscrivait dans la continuité de l’escalade récente dans les rapports entre les deux pays. En droit international, la rupture diplomatique est un temps froid caractérisé par l’absence de relations entre deux Etats. Il s’agit d’une cessation soudaine, souvent unilatérale, de rapports entre deux pays. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les ruptures, même présentées comme dernier recours, jalonnent l’histoire des relations internationales.

L’interruption des relations diplomatiques est assez rare, car elle marque un point de non-retour, où deux Etats n’entretiennent plus aucune relation par les voies diplomatiques. «Pour comprendre les effets d’une rupture diplomatique, il faut commencer par voir ce qu’elle n’emporte pas comme conséquences», explique Yves Nouvel, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas.

Qu’en est-il des implications? Les répercussions de la rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie sont surtout d’ordre économique. Ainsi, l’Algérie a décidé, deux jours après la rupture des relations diplomatiques, le non-renouvellement du contrat du gazoduc Maghreb-Europe, qui expire en octobre prochain. Alger va désormais utiliser le gazoduc Medgaz pour acheminant directement son gaz naturel vers l’Espagne.  De même, les populations des deux pays sont parmi les premières victimes de cette rupture. A titre d’illustration, une expulsion massive des travailleurs a eu lieu fin 1994, lorsqu’en réaction à l’imposition du visa par Rabat aux ressortissants algériens, l’Algérie a fait de même, en plus de la fermeture de la frontière terrestre.

En outre, le Maroc a décidé de fermer son ambassade en Algérie et de rapatrier l’ensemble du personnel. A ce propos, l’article 45 de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques dispose qu’«en cas de rupture des relations diplomatiques entre deux États, ou si une mission est rappelée définitivement ou temporairement: premièrement, l’Etat accréditaire est tenu, même en cas de conflit armé, de respecter et de protéger les locaux de la mission, ainsi que ses biens et ses archives. Deuxièmement, l’État accréditant peut confier la garde des locaux de la mission, avec les biens qui s’y trouvent, ainsi que les archives, à un Etat tiers acceptable pour l’Etat accréditaire. Troisièmement, l’Etat accréditant peut confier la protection de ses intérêts et de ceux de ses ressortissants à un Etat tiers acceptable pour l’État accréditaire».

Quant à l’article 2 de la convention de 1963 sur les relations consulaires, celui-ci consacre le principe suivant lequel la rupture des relations diplomatiques n’entraîne pas ipso facto la rupture des relations consulaires.

Une relation traditionnellement difficile

Les conflits entre le Maroc et l’Algérie remontent à plus de cinq décennies. Déjà entre le 8 et le 9 octobre 1963, la tension était montée entre les deux pays, donnant lieu à la fameuse guerre des Sables. Le conflit sera court, les combats s’arrêtant le 5 novembre de la même année. Quelques jours plus tard, à savoir le 13 novembre, un cessez-le-feu est décrété, mais sans régler la question des frontières entre les deux jeunes nations. Malgré un mauvais départ, le Maroc et l’Algérie parviennent finalement à signer un traité de fraternité, de bon voisinage, et de coopération, le 15 janvier 1969 à Ifrane.

Le Sud marocain sera à son tour le théâtre d’un conflit entre le Maroc et l’Algérie. Le Front Polisario, formé en 1973, avait pour objectif initial, de mettre fin à l’occupation espagnole au Sahara. En 1975, après le départ des Espagnols, ce groupe, soutenu par l’Algérie, s’oppose à l’annexion du Sahara par le Maroc et la Mauritanie. L’année suivante, il annonce la création de la République arabe démocratique sahraouie (RASD), reconnue par Alger. Rabat rompt alors ses relations diplomatiques avec Alger, le 7 mars 1979.

La brouille va durer jusqu’à 1983, date du rétablissement de la liberté de circuler entre l’Algérie et le Maroc. L’autre étape importe intervient le 16 mai 1988, lorsque les deux pays annoncent le rétablissement de leurs relations diplomatiques. Le 5 juin suivant, les frontières sont rouvertes, et deux jours plus tard, le roi Hassan II prend part au sommet arabe à Alger. Un événement important qui vient confirmer la réconciliation.

Entre le 6 et le 17 février 1989, le président algérien Chadli Bendjedid effectue une visite officielle au Maroc. Au cours de ce séjour, plus précisément le 8, un accord algéro-marocain pour la construction d’un gazoduc est signé. Ensuite, le sommet de Marrakech, tenu du 15 au 17 février entre les chefs d’Etat du grand Maghreb, confirmera la coopération économique entre les pays du Maghreb, et aboutira à la formation de l’Union du Maghreb arabe. La guerre du Sahara prendra fin, quant à elle, le 6 septembre 1991, avec la signature d’un cessez-le-feu entre le Maroc et l’Algérie, sous l’égide de l’ONU.

Tout va plus ou moins bien jusqu’au 16 août 1994, lors Rabat perçoit mal les déclarations du président algérien Liamine Zéroual selon lesquelles il reste en Afrique «un pays illégalement occupé» -allusion faite au Sahara occidental. Dix jours plus tard, le Maroc impose un visa pour les ressortissants algériens suite à une fusillade dans un hôtel à Marrakech. Deux touristes espagnols ont perdu la vie dans cet attentat que les autorités marocaines ont attribué aux services de renseignements algériens. Et Alger de réagir en fermant les frontières terrestres avec son voisin.

On perçoit un début de réconciliation le 25 juillet 1999, lorsque le président Abdelaziz Bouteflika assiste aux funérailles de Hassan II à Rabat. Mais pas pour longtemps: un massacre fait 29 morts dans le sud-ouest algérien, le 15 août 1999. Et pour Bouteflika, le Maroc a facilité l’infiltration d’islamistes armés dans son pays. Une rencontre a lieu entre le roi Mohammed VI et le chef d’Etat algérien en 2005, contribuant à briser la glace entre les deux pays. Mais les frontières demeureront fermées malgré l’appel à la réouverture prononcé à maintes reprises par le souverain.

Les relations entre le Maroc et l’Algérie ont connu d’autres tensions, avant d’être exacerbées par la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara en décembre 2020, suivie de la normalisation des relations entre le royaume et Israël. Dès lors, Alger a multiplié ses attaques et menaces à l’encontre de son voisin: rappel de l’ambassadeur algérien à Rabat, refus des Canadairs marocains pour lutter contre les incendies mortels en Kabylie, accusation impliquant le Maroc dans lesdits incidents, «révision» des relations en raison d’«actes hostiles incessants» de la part de Rabat, etc. Enfin, est venue l’annonce de la rupture des relations diplomatiques, le 24 août dernier.

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